Les interprètes bénévoles au secours de l’Etat
En France, les associations de solidarité dédiées aux demandeurs d’asile et plus largement à la défense des étrangers, sont investies d’un rôle délégataire de mission de services publics. En première ligne dans les prises en charge sociales et/ou juridiques de ces populations, elles deviennent un intermédiaire privilégié entre des étrangers en demande de droits et les institutions chargées de statuer sur leur sort.
Aussi et surtout, le travail accompli par ces associations fait intervenir des acteurs dont on parle peu, alors que leur rôle est fondamental : il s’agit des interprètes bénévoles qui interviennent lorsque les étrangers en demande d’assistance ne parlent pas (ou insuffisamment) le français. En effet, c’est par leur intermédiaire que sont recueillis récits et témoignages à partir desquels les intervenants « travaillent » les dossiers transmis à la préfecture ou destinés à l’OFPRA ou à la CNDA dans le cadre de la procédure d’asile.
Ces interprètes bénévoles sont des acteurs incontournables sans lesquels les associations ne pourraient remplir la mission sous‑traitée par les pouvoirs publics. Dans le même temps, leur rôle demeure très faiblement transcrit. D’autre part, leur profil sociologique tend à les distinguer des autres intervenants (bénévoles ou salariés) de ce type d’associations. Il est intéressant d’observer comment, dans les permanences juridiques associatives, ces intervenants associatifs aidant les requérants à constituer leur dossier de demande d’asile s’apparentent à des « entrepreneurs de causes » n’ayant pas les mêmes caractéristiques sociales que les bénéficiaires ; ils sont de nationalité française, issus de classes moyennes, n’ont pas une histoire d’émigration. En revanche, la plupart des interprètes bénévoles ont une expérience de l’exil et connaissent – ou ont connu – les mêmes situations administratives précaires que les étrangers suivis par ces associations. Ils interviennent souvent dans leur langue maternelle et mobilisent des savoir-faire profanes liés à leur propre parcours.
Comment ces interprètes bénévoles passent-ils d’une expérience migratoire précaire à ce nouveau statut ?
Tout d’abord, revient une volonté d’améliorer la maîtrise de la langue française et d’acquérir une meilleure compréhension des rouages administratifs en matière du droit des étrangers. Les connaissances ainsi acquises permettent aux intéressés de mieux penser leur propre situation au sein du système administratif français. Conjointement, une autre motivation est mise en avant : rompre l’isolement et l’oisiveté bien souvent néfastes à un moral déjà fragilisé par les conditions de la migration. Si l’engagement bénévole permet d’occuper un temps en suspens, aider d’autres étrangers confrontés à l’enjeu des papiers permet également aux intéressés de replacer leur situation dans une expérience collective tout en s’en distanciant.
Enfin, rendre l’aide reçue en se rendant socialement utile dans une société leur donnant peu ou pas de place est une motivation recherchée par beaucoup d’interprètes bénévoles. Passé du statut d’aidé à celui d’aidant permet une restauration identitaire. Cet enjeu identitaire semble particulièrement important pour les étrangers dont l’exil est synonyme de déclassement social et plus largement de désillusions face aux conditions de vie en France.
Devenir interprète professionnel (salarié ou indépendant) n’est pas nécessairement l’objectif visé par les interprètes bénévoles. Quand bien même il le serait, l’expérience acquise lors du bénévolat pourrait leur porter préjudice. En effet les agences de traduction mettent l’accent sur la professionnalisation du métier d’interprète et sont très attentives à certains principes tels que la neutralité, l’impartialité, l’intégrité et le respect du secret professionnel et d’un code déontologique. Dans ce contexte, l’expérience bénévole peut être vue comme contre‑productive (acquisition de « mauvaises habitudes ») par rapport aux principes promus dans l’interprétariat professionnel qui sait se distinguer par la qualité de son travail.